• On se complique trop la vie...ou pas assez?

    Vous avez une décision simple, mais importante, à prendre. Choisirez-vous rapidement la réponse intuitive qui vous vient à l’esprit. Ou  hésiterez-vous longtemps, en prenant le temps d’évaluer les risques potentiels...tous les risques, même les pires? 

    Se compliquer la vie

    Même dans le cas où le choix est relativement simple nous avons souvent tendance à tergiverser dès qu’il s’agit d’une décision que nous qualifions “d’importan-te”. Nous voulons tellement faire le bon choix – ou plutôt ne pas faire le mauvais! – que nous avons le réflexe de chercher le maximum de données pour réduire les risques de se tromper. Et ce, surtout si le choix paraît de prime abord facile à faire : on se méfie, on se dit que c’est trop beau pour être vrai.

    Trois chercheurs ( du Wharton School et de la Columbia University Business School) ont mené une série d’expériences visant à identifier la façon dont nous nous compliquons la vie pour rien.  

    Dans la première il a été demandé à 225 étudiants d’une grande université américaine de choisir entre deux médecins, en fonction de trois critères différents : le premier pouvait consulter en fin de journée et les fins de semaine, pas l’autre; le premier pouvait offrir des consultations dans les trois jours, l’autre dans les 10 jours; le premier ne pouvait se rendre au domicile du patient pour la consultation, l’autre oui. Un choix facile, mais voilà, là où ça se complique, c’est que les étudiants devaient aussi déterminer quels critères avaient le plus d’importance à leurs yeux. Avant de connaître le profil des deux médecins, ils avaient réparti les 100 points disponibles de la manière suivante : flexibilité (48 points), délai (41 points) et visite à domicile (11 points). Et quand on leur a demandé de justifier leur choix, après avoir vu les profils des deux médecins, quantité d’étudiants se sont mis à réfléchir et à tergiverser, pour finalement accorder une très haute importance au troisième critère, à savoir le fait de pouvoir bénéficier de consultations à domicile, afin de justifier de retenir les services du second. 

    Dans une autre expérience, 197 étudiants de la même université ont dû évaluer 12 tableaux de maîtres en fonction de leurs propres goûts, en leur attribuant une note de 1 à 15, puis les classer dans leur ordre de préférence. Puis, deux tableaux choisis au hasard leur ont été présentés, en leur demandant d’imaginer qu’ils étaient maintenant l’administrateur d’un grand musée et de choisir l’un des deux pour le musée. Nombre d’étudiants ont opté pour la toile qu’ils aimaient le moins. Pourquoi? Parce que tout à coup, il ne s’agissait plus d’afficher ses goûts personnels, mais de prendre une décision importante : un musée ne dépense jamais des millions de dollars comme ça, sur un simple coup de tête, juste parce que l’administrateur aime ou pas une toile. Le piège de l’ultra-réflexion!

    Les trois chercheurs ont multiplié les expériences plus ou moins similaires, pour aboutir toujours au même résultat : quand une décision d’importance s’impose, nous nous compliquons toujours la vie. Parfois, cela ne nous empêche pas de faire le bon choix ; et parfois, si. Dans tous les cas, nous perdons du temps, gaspillons nos forces et accroissons notre niveau de stress… pour rien!

    Le pire est devant

    Nous avons aussi tendance à sans cesse prévoir ce qui va nous arriver: nous anticipons dans notre agenda ce que nous avons à faire, aujourd’hui comme demain et après-demain; nous dressons des tonnes de listes; nous écoutons avec avidité les bulletins météo, etc. Nous nous entourons ainsi de certitudes rassurantes, alors qu’en fait nous souffrons d’un aveuglement volontaire, d’un refus d’appréhender notre environnement tel qu’il est en réalité et, en particulier, les risques infimes de voir survenir une catastrophe, laquelle aura des effets d’autant plus dévastateurs lorsqu’elle se produira pour de bon.

    Le problème, c’est que nous ne voulons jamais entendre parler de ces infimes risques de catastrophe, car cela perturberait notre paix intérieure, ou du moins nos «certitudes». Pour illustrer ce phénomène, M. Nassim Nicholas Taleb a concocté la théorie du Cygne Noir, selon laquelle un événement imprévisible a, certes, une faible probabilité de se dérouler, mais s'il se réalise, les conséquences ont une portée inouïe (longtemps, les

    Européens ont cru que tous les cygnes étaient blancs parce que tous ceux qu’ils voyaient étaient blancs et ce, jusqu’au 18e siècle, quand ils ont découvert des noirs en grande quantité en Australie).

     

    Un “cygne noir” est l'illustration d’un biais cognitif. Si l’on ne croise et n'observe que des cygnes blancs, on aura vite fait de déduire que tous les cygnes sont blancs. Nous élaborons des raisonnements à partir d’informations incomplètes et en tirons des conclusions erronées, parfois lourdes de conséquences. Paradoxalement, plus nous accumulons d'informations biaisées, plus nous sommes susceptibles de voir nos certitudes infirmées par l'apparition d'un cygne noir. 

     

    Nous avons presque tous tendance à estimer qu’un événement n’a aucune chance de se produire s’il ne s’est jamais produit par le passé. Nous évaluons alors la probabilité qu’il survienne à zéro. Mais voilà, il est impossible que celle-ci soit vraiment de zéro : tout le monde pensait totalement inimaginable qu’un séisme de grande magnitude se produise un jour non loin d’une centrale nucléaire et qu’à celui-ci s’ajoute dans les minutes suivantes un gigantesque tsunami affectant les installations du bâtiment, et pourtant, à Fukushima…. 

     

    Par conséquent, toute prévision se doit d’être assortie d’un taux d’erreur supérieur à zéro. Le hic? Difficile d’estimer celui-ci. Et surtout – selon M. Taleb – il convient d’assortir l’estimation du taux d’erreur elle-même d’un taux d’erreur! En effet, mieux comprendre la notion d’erreur, chercher même à la saisir de manière quantifiable, voire mathématique, est primordial pour qui évolue dans un environnement rempli d’incertitudes.  

     

    Quelles implications en matière de prise de décision en management? Lorsqu’on doit faire un choix important, comme lancer ou non un nouveau produit ou service, acquérir ou non un féroce compétiteur, ou encore débaucher ou non le jeune prodige qui fait des merveilles chez un concurrent, on dessine plusieurs scénarios de ce que cela pourra apporter à son équipe et à son entreprise. Les plus méticuleux essayeront de prévoir le pire des scénarios (le nouveau produit est un flop total; le jeune prodige joue un double-jeu et informe en douce son employeur de vos projets; etc.), mais sans vraiment estimer les chances qu’il puisse se produire. Et c’est là que nous commettons une bourde. Pour faire une analogie, aux échecs les bons joueurs ne sont pas tant ceux qui calculent plusieurs coups d’avance, mais bel et bien ceux qui se mettent dans la peau de leur adversaire, en se disant «Si j’étais lui, qu’est-ce que je ferais pour gagner?», et en prenant pour acquis que celui-ci jouera le coup le plus fort. On le voit bien, il est fatal aux échecs de refuser de voir ce qui peut nous arriver de pire. Et il est très périlleux, lorsqu’on a vu le bon coup que pourrait jouer notre adversaire, de se dire qu’il y a peut-être une chance que, lui, ne l’ait pas vu.  

     

    Il ne s’agit pas ici de nous inciter à devenir pessimistes, à ne plus voir que le mauvais côté des chances, à imaginer sans cesse des scénarios catastrophes, bref à broyer du noir. Il est tout simplement recommandé de faire un peu plus preuve de vigilance, et de curiosité envers ce qui nous fait parfois peur, ou qu’on a peine à imaginer. 

     

    Une fois que ma décision est prise, j’hésite longuement ...     Jules Renard  

     

     

     

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