• Socrate, Aristote...et TRIZ

    Vous rappelez-vous vos modèles classiques de la pensée moderne: Socrate et Aristote? Et en quoi est-ce utile de le faire (encore)? Et bien parce que l’innovation est à la mode et que nous aimerions tous trouver des idées radicalement différentes.

    Or, s’il existe plusieurs “méthodes” de pensée créative, elles souffrent toutes du même défaut: la plupart ne fonctionnent guère, car trop simplistes, et leur efficacité laisse à désirer.

    Les grecs

    Les chercheurs Christophe Belleval et Christophe Lerch, du Bureau d’économie théorique et appliquée de l’Université de Strasbourg, en France, préconisent, ni plus ni moins, un retour aux deux sources de notre modèle de pensée contemporain :

    • la méthode de la dialectique de Socrate, laquelle consiste à dépasser les contradictions en suivant trois étapes, soit la «thèse», l’«antithèse» et la «synthèse»; une méthode qui a fait ses preuves depuis l’aube de l’humanité;
    • la logique formelle, qui nous vient en grande partie d'Aristote, l'autre grand philosophe grec; dans l'Organon celui-ci présente une méthodologie de la réflexion, dans laquelle figure notamment sa théorie du syllogisme («raisonnement», en grec).

    Leur idée est de combiner ces deux processus mentaux, à savoir celui de la logique formelle (pour la recherche de solutions au problème rencontré) et celui de la dialectique (pour l’exploration des territoires inconnus), pour concocter de véritables idées radicalement différentes. «Nos travaux s’inscrivent dans la lignée de ceux qui considèrent que les entreprises les plus créatives seraient celles qui sont capables de mettre en œuvre à la fois les principes de la logique formelle et ceux de la dialectique», soulignent les deux chercheurs français.

    Le russe

    Ils prennent, à titre d’exemple, entre autres, la fameuse approche algorithmique du scientifique russe Genrich Altshuller, dont la méthode TRIZ vise à résoudre les problèmes techniques de manière innovante. TRIZ part du principe que les problèmes rencontrés durant la conception d'un nouveau produit présentent des analogies, et donc, que des solutions analogues doivent pouvoir s'appliquer. (un constat qui vient de son analyse de quelque 400 000 brevets russes). On évite ainsi de réinventer perpétuellement le bouton à quatre trous. TRIZ favorise la créativité à l’aide d’outils qui ont permis à d’autres de surmonter telle ou telle difficulté. Bref, cette méthode conduit vers la bonne formulation de son problème, puis vers sa résolution, en combinant logique et dialectique (résolution de contraintes opposées).

    Les autres

    Mais est-ce suffisant? Toutes les méthodes ont leurs limitations: pensons au classiques:

    • le “remue-méninges”, conçu par le publicitaire Alex Osborn en 1935; fait peu connu: toutes les études empiriques effectuées pour le tester concluent que c’est une des approches qui génère le moins de bonnes idées;
    • les amusants 6 chapeaux du gourou Edward de Bono, passés aux oubliettes depuis les années 1980, car pour certains ils ne servaient pas vraiment à autre chose que de ne pas tuer dans l’œuf les idées neuves;
    • Le mind mapping du psychologue Tony Buzan, lequel croyait ainsi dans les années 1970 rééquilibrer l’usage des nos deux hémisphères cérébraux au moment de créer, une vision du cerveau devenue obsolète au regard des avances en neuroscience.

    TRIZ toute seule, comme toutes ces autres méthodes, ne suffit pas. Pourquoi? Parce qu’elle repose sur un postulat discutable quand on l’applique en entreprise : elle s’adresse avant tout à un «inventeur solitaire», ou à une équipe de petite taille. Toutes ces méthodes ne tiennent pas compte du fait que toute idée vraiment innovante est «le fruit d’interactions complexes entre les individus impliqués dans la résolution du problème, et entre les groupes de personnes concernés par la projet, voire entre entreprises partenaires». Innover radicalement a plusieurs dimensions, pas seulement technique, mais aussi cognitive et organisationnelle. La clé c’est de tenir compte de ces trois dimensions à la fois.

    L’innovation en 3D

    Il faut procéder à une réflexion majeure et multidimensionnelle pour aboutir à une idée neuve.

    Trouver une solution technique à un problème souvent ne suffit pas. Une simple chicane entre membres de l’équipe à l’ego démesuré, la difficulté pour le groupe de passer d’un modèle cognitif de la réalité à un autre, un manque flagrant de leadership, tous ces facteurs peuvent faire qu’une idée géniale sera peut-être imaginée...mais pas retenue. Le cœur du problème, c’est en réalité un processus de création qui n’est pas tridimensionnel. Pour qu’une idée radicale puisse bel et bien voir le jour, il faut qu’il y ait innovation radicale dans les trois dimensions. Si cela ne se produit que dans une seule dimension, alors les chances sont que l’idée tombera à l’eau.

    «C’est en établissant des relations saines et matures avec les acteurs de l’équipe, en promouvant leur engagement, leur implication au travail que les objectifs les plus élevés peuvent être atteints», soulignent les deux chercheurs français, en préconisant un modèle, celui des Teamcentric Teams concocté par Smith et Tushman (équipes centrées sur l’équipe par opposition à celles centrées sur le leader), où tous les membres de l’équipe jouent tour à tour le rôle d’avocats de leur projets individuels et celui d’intégrateur à la recherche de la performance globale de l’organisation.

    On pourrait parler de méta innovation: il faut innover dans nos façons d’innover. Il faut changer de méthode, pour surprendre les autres et se surprendre soi-même. Il faut aller au-delà des méthodes reposant essentiellement sur la logique formelle, pour oser recourir à cette bonne vieille dialectique, dont on ne veut presque plus entendre parler au sortir de l’école. Il faut se mettre à réfléchir en 3D et marier Socrate avec Aristote...et TRIZ .

    « Nous sommes conçus pour persuaderOn se complique trop la vie...ou pas assez? »
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