• Qu'est-ce que la certitude?

    Il y a une séquence temporelle apparente à notre sentiment de « savoir » quelque chose: d’abord il y a une pensée (l’intrant), ensuite on l’évalue, puis il y a un sentiment de justesse. La certitude est donc un choix conscient, ou, à tout le moins un processus de pensée. N’est-ce pas? Eh bien non, selon le neurologue Robert A. Burton, M.D. Prenons deux exemples:

    » Le mystique perçoit une vérité, il a un sentiment de savoir, même en l’absence de pensée initiale. De plus l’interprétation (c’était une révélation divine) arrive après coup.

    » Dans les percées scientifiques (e.g. la pomme de Newton) une série d’associations inconscientes s’infuse d’un sentiment de justesse; la pensée et le sentiment de justesse émergent ensemble dans le conscient.

    Qu’est-ce que le « sentiment de savoir »?

    On peut appeler la certitude le « sentiment de savoir » quelque chose, par ex.:

    » Lorsqu’on nous pose une question et qu’on a un une forte sensation de connaître la réponse, même si on ne peut s’en rappeler immédiatement (« sur le bout de la langue »)

    » Le délicieux moment « aha!!! »  lorsqu’une équation mathématique incompréhensible fait soudain du sens. 

    En somme on ressent un sentiment de raisonnement correct et de réponse juste.

    Voici un petit test. Lisez le texte qui suit, au complet, d’un bout à l’autre, sans vous arrêter.

    Un journal est mieux qu’un magazine. Sur la plage c’est mieux que sur la rue. Au début il vaut mieux courir que marcher. Il est possible d’avoir à essayer à plusieurs reprises. Il faut être habile mais ça s’apprend facilement. Même les enfants aiment ça. Une fois réussi il y a peu de complications. Les oiseaux s’approchent rarement. La pluie s’absorbe vite. Trop de monde en même temps cause des problèmes. Il faut de l’espace. Sans complication c’est très apaisant. Une roche servira d’ancre. Si quelque chose casse il n’y aura pas de deuxième chance.

    Comment vous sentez-vous après cette lecture? Les chances sont que vous ressentez un inconfort: c’est un texte bizarre, sans sens. Ajoutons maintenant un seul mot: cerf-volant. Aha! votre inconfort disparaît et est remplacé par un sens de justesse. Instantanément, sans délibération consciente vous avez un sentiment conscient de certitude quant au sens de ce texte. 

    Savoir et conscience 

    Cependant, savoir quelque chose et en prendre conscience sont deux processus différents, se produisant dans deux zones différentes du cerveau. Il en résulte parfois des manifestations fautives du « sentiment de savoir ».

    Sentiment de savoir contraire au savoir. On pense ici aux phénomènes placebo (je sais que c’était du sucre… mais ça m’a quand même guéri), ou encore de dissonance cognitive (je préfère changer de comportement que de croyance). On peut penser aussi au délire de négation (syndrome de Cotard) où des patients nient leur propre existence (je vous parle mais je sais que je suis mort) ou celle d’une partie d’eux-mêmes (je vois mon bras, je touche mon bras, mais c’est pas à moi — mon bras à moi est mort). Il y a aussi la fameuse étude Challenger. Le lendemain de l’explosion de la navette spatiale un professeur a demandé à ses étudiants d’écrire où ils étaient, avec qui et quels étaient leurs réactions lorsqu’ils ont appris le désastre. Quelques années plus tard il a demandé aux mêmes élèves de réécrire leurs réponses aux mêmes questions, puis a comparé les deux versions. Plus de la moitié avaient des souvenirs substantiellement différents, et plus d’un tiers avaient des différences importantes. Plus intéressant est que plusieurs, lorsque confrontés aux différences, ont renié leur version originale, prétextant qu’« ils savaient ce qu’ils savaient »! 

    Absence de sentiment de savoir malgré la présence d’un savoir.  La vision consciente se produit lorsqu’un signal lumineux voyage, par des fibres, de la rétine au cortex visuel. Mais il y a d’autres fibres qui contournent ce processus et se connectent directement à la région sous-corticale qui  contrôle les réflexes automatiques (e.g. votre tête se tourne automatiquement vers un objet qui vous approche rapidement). Quand le cortex visuel est endommagé celui-ci ne peut enregistrer l’image ni donc en prendre consciemment « connaissance »; mais la région sous-corticale, elle, enregistre quand même l’information. D’ailleurs si on allume une lumière devant ce type d’aveugles et qu’on leur demande dans quel quadrant elle se trouve (haut/bas, gauche/droite), ils « devinent » la réponse.

    Sentiment de savoir en absence de savoir. Ici on touche aux expériences mystiques. Pour un mystique la révélation est ressenti comme un savoir (semblable à celui que nous retirons de sensations physiques) beaucoup plus qu’à un processus de pensée conceptuelle. Des études récentes démontrent que ces sensations proviennent directement de l’activation de zones localisées du cerveau (système limbique). Or on peut obtenir les mêmes effets via des simulations externes, par exemple par activation chimique. Au fait le point ici n’est pas de discuter de la réalité de la divinité mais de reconnaître que quelque soit l’origine de notre sens (ou absence) de sens divin, le tracé final de sa perception réside dans notre cerveau.

    La conviction est une sensation, involontaire

    Les sensations de connaissance telles que familier et réel, étrange et bizarre déjà vu ou inconnu, clair ou sans sens, en d’autres mots nos « convictions » qualifient comment nous faisons l’expérience de nos pensées; comme elles peuvent être élicitées chimiquement ou électriquement, en l’absence de tout raisonnement associé ou pensée consciente, elles ne sont donc pas des conclusions, mais bien des sensations.

    Entendre notre petite voix interne et voir une image dans notre tête sont des représentations sensorielles de nos états d’esprit intérieurs. Il en va de même avec nos sensations de savoir.  Nous percevons le monde extérieur à travers nos sens primaires (vue, ouie, etc.) et nous percevons notre monde intérieur à travers nos sensations (familier, étrange, réel, irréel, correct, incorrect). Notre sens de conviction est une sensation mentale.

    Comme toutes sensations, nos sensations de conviction sont sujettes à certains principes physiologiques communs à tous les systèmes sensoriels. Quand un système sensoriel est affecté, des sensations altérées sont inévitables et incontrôlables. Si vous coupez le principal nerf sensoriel de votre pouce vous ne pourrez vous empêcher, de votre simple volonté, de sentir votre pouce engourdi. La même chose se produit avec le cerveau :

    » des amputés continuent à ressentir de la douleur dans leur membre coupé;

    » on a parlé plus haut de ces patients convaincus qu’ils sont morts.

    Ces sensations bizarres, si elles sont le résultats de systèmes sensoriels mentaux altérés, ne peuvent pas être surmontées volontairement par la raison ou des évidences contraires.

    Ces sensations sont aussi affectées par nos différences génétiques; par exemple des études ont démontré des similitudes élevées dans les convictions spirituelles de jumeaux identiques élevés séparément dès la naissance. 

    Savoir et apprendre

    Le sentiment de savoir est évidemment essentiel au processus d’apprentissage. Apprendre c’est quand un comportement persiste; or, pour qu’un comportement persiste il y doit y avoir « récompense », sous forme d’une augmentation des niveaux de dopamine dans certaines zones du cerveau. Mais pour qu’il y ait récompense effective les sensations de savoir, de conviction doivent être perçues comme des conclusions conscientes et délibérées. Le cerveau a donc développé une constellation de sensations mentales que l’on ressent comme des pensées conscientes, mais qui n’en sont pas. Ces sensations involontaires et incontrôlables sont les sensations de notre esprit et, en tant que sensations, elles sont sujettes à une grande variété d’illusions perceptuelles communes à tous les systèmes sensoriels, ainsi qu’aux variations génétiques.

    La séparation des processus de pensée et de prise de conscience de la pensée est nécessaire sinon il en résulterait un chaos écrasant; il nous faudrait, à chaque instant, remettre en question la moindre petite décision. En fait, la plupart des scientifiques sont aujourd’hui convaincus que les pensées conscientes ne représentent que le tout petit sommet de l’iceberg cognitif et que la vaste majorité de nos pensées se produisent hors de notre conscience. Pour éviter la confusion, notre cerveau a donc développé des systèmes sensoriels qui nous disent sélectivement quand nous pensons; ces systèmes déterminent comment nous faisons l’expérience des sentiments de cause à effet et d’intentionnalité et nous impriment un sens de conviction.

     Source:  Burton, Robert A., On Being Certain, St-Martin’s Griffin, 2008 

     

     

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