• L'illusion du succès

    On entend souvent parler, statistiques à l’appui, des projets informatiques qui sont typiquement en retard et en dépassement budgétaire. Mais il s’agit là d’un phénomène beaucoup plus répandu. La plupart des grands projets d’investissement en capital ne remplissent jamais leurs promesses!

    » Plus de 70% des nouvelles usines manufacturières en Amérique du Nord sont fermées après moins d’une décennie d’opération.

    » Près du 3/4 des fusions et acquisitions ne sont jamais rentabilisées.

    » La vaste majorité des projets de pénétration de nouveaux marchés sont abandonnés après à peine quelques années.

    » Une étude de 44 grandes usines chimiques montrent qu’en moyenne elles avaient coûté le double de l’estimé original et qu’un an après leur démarrage elles fonctionnaient à moins de 75% de la capacité prévue.

    Selon la théorie économique classique cela est facilement explicable: c’est le résultat inévitable de la prise de risque en situation d’incertitude. Un argument attrayant… qui enlève toute responsabilité envers l’échec. Mais se pourrait-il qu’il y ait une autre explication, celle d’un processus décisionnel inefficace?

    Des lunettes roses

    En faisant leurs prévisions, les décideurs tombent trop facilement dans le piège de ce que les psychologues appellent le faux raisonnement de la planification, autrement dit dans un optimisme irrationnel. On surestime les bénéfices et sous-estime les coûts, on « spin » les scénarios de succès en oubliant des risques et facteurs d’échec possibles. Rassurez-vous, c’est très humain car cela relève, en partie, de biais cognitifs (la façon dont le cerveau traite l’information).

    La majorité d’entre nous sommes très optimistes, la plupart du temps. Dans les années 70, l’interrogation d’un million d’étudiants anglais sur leurs habiletés relatives a donné les résultats suivants:

    » Leadership: 70% se trouvaient au-dessus de la moyenne, contre 2% qui se trouvaient en deçà;

    » Prouesses athlétiques: 60% se jugeaient dans le décile supérieur et 25% dans le top 1%.

    Cette inclinaison à l’exagération est amplifiée par notre tendance à mal percevoir les causes de certains événements. En fait, on tend à attribuer des causes à des facteurs spécifiques: on prend crédit pour les résultats favorables et on attribue les défavorables à des causes externes. Lisez les rapports annuels des entreprises!

    On tend aussi à exagérer le degré de contrôle que l’on a sur les événements, en général, et nos habiletés de gestionnaire, en particulier. Dans notre vision idéalisée de nous-mêmes, nous nous voyons comme des joueurs prudents, déterminés et en contrôle… tellement que nous évacuons la possibilité d’évènements aléatoires. Nous semblons ignorer les limites de l’imagination humaine et le simple fait que, quelque soit le niveau de détail de nos scénarios d’affaires, aucun ne peut tenir compte de tout (chocs technologiques, économiques, climatiques, etc.).

    Positivisme sous pression

    Un autre biais cognitif vient compliquer la situation: l’ancrage. Quand nous faisons des prévisions, nous partons généralement d’une proposition de départ, puis nous ajustons progressivement nos prévisions en fonction de recherches, d’études, d’analyses et de notre jugement. Cette approche, apparemment sans faute, est cependant fortement ancrée dans (dépendante de) l’estimé original.

    » Au cours d’une expérience, on a demandé à des gens d’estimer si le nombre de médecins à Manhattan était plus grand ou plus petit que celui formé par les quatre derniers chiffres de leur numéro de sécurité sociale. Ensuite, on leur demandait leur estimé de ce nombre. Malgré le caractère complètement aléatoire du chiffre de comparaison, il y a eu une forte corrélation démontrée entre les réponses et le numéro de sécurité sociale!!!

    Voilà un piège dans lequel nous tombons tous quand nous faisons des projections budgétaires à partir des données de l’année précédente.

    De plus, comme l’attention et les fonds de la haute direction sont limités et fortement sollicités, il existe une énorme pression corporative pour présenter ses projets comme étant les plus attrayants. Cela a deux conséquences fâcheuses:

    » D’abord, cela fait en sorte que les projections utilisées pour fins de planification seront trop optimistes (ce qui, par le phénomène d’ancrage, contaminera toute analyse subséquente);

    » Et cela augmente les chances que les projets retenus seront parmi ceux qui sont trop optimistes (augmentant ainsi les chances de déception ultérieure).

    Un dernier biais important d’optimisme provient de notre tendance à nous centrer sur nos propres capacités et plans (mieux connus) et à oublier, ou négliger, les habiletés et actions potentielles de nos concurrents et leurs réactions.

    Et je ne vous parle pas des modes, comme celle des objectifs ambitieux (stretched objectives), qui peuvent faire pencher la balance encore plus du côté du sur-optimisme, ni du fait que la culture organisationnelle de certaines entreprises décourage activement toute forme de pessimisme, souvent interprétée comme un manque de loyauté.

    D’autres pièges dans les processus de décision ont aussi été présentés dans notre bulletin de mars 2007 (volume 3, numéro 3) et je vous encourage à les relire.

    Une méthode simple de correction de ces erreurs est d’évaluer la fiabilité passée de vos prévisions dans des projets semblables et d’ajuster vos prévisions courantes en fonction de votre performance prévisionnelle (prévision par classe de références).

     Source:  D. Lovallo et D. Kahneman,   Delusions of success, Harvard Business Review, July 2003 

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