• Nous sommes tous sujets à faire des raisonnements fautifs parce que notre cerveau est conçu pour convaincre les autres de la valeur de notre point de vue—peu importe si notre raisonnement est logique ou non.

    Avez-vous déjà entretenu, à l’encontre de votre meilleur jugement, certaines croyances un peu particulière? Vous croyez vraiment que votre grand-père avait prédit le jour de sa mort? Que les rock stars meurent tous à 27 ans?

    Dans de tels cas vous êtes probablement sujet au biais de confirmation. C’est la tendance à ne percevoir sélectivement que l’information qui supporte vos préconceptions, tout en ignorant les indications contraires. Prenez, par exemple, cette légende urbaine que les rock stars meurent à 27 ans. Dès que vous entendez parler du "27 club" il est facile de vous rappeler plusieurs exemples qui la confirment - Joplin, Cobain, Winehouse - tout en oubliant les centaines d’autres qui sont morts passés 30 ans. Pensez aussi à la façon dont vous évaluez le comportement des politiciens, retenant les bons côtés de vos candidats préférés tout en ignorant les vertus de leurs adversaires.  

    Pourquoi notre cerveau a-t-il évolué de manière telle à être sujet à ce biais (ainsi qu’à plusieurs autres fort bien documentés par les psychologues)? Ces tendances non rationnelles sont difficiles à expliquer si l’on veut affirmer que l’intelligence humaine s’est développée pour résoudre des problèmes complexes où une pensée claire et logique devrait être un avantage.

    Une explication élégante nous est offerte par Hugo Mercier de l’Université de Neuchâtel en Suisse et Dan Sperber du Central European University à Budapest en Hongrie. Ils pensent que le raisonnement humain s’est développé pour nous aider à argumenter. Une habilité à argumenter de façon convaincante aurait été à l’avantage de nos ancêtres, alors qu’ils développaient des formes plus évoluées de communication.  Puisque les raisonnements les plus convaincants ne sont pas toujours ceux les plus logiques, ces apparentes faiblesses de notre cerveau pourraient résulter de ce besoin de justifier nos actions et de convaincre les autres de notre point de vue—qu’il soit juste ou non.

    L’envers de la médaille évidemment est que cela nous expose au risque de nous faire duper par les autres et nous avons donc développé aussi un scepticisme de bon aloi, ainsi que l’habilité à détecter les défauts dans le raisonnement des autres. Cette capacité à argumenter et contre-argumenter pourrait bien avoir été cruciale au succès de la race humaine—nous permettant de trouver, en groupe, des solutions extraordinaires que nous n’aurions pu imaginer seuls.

    L’évolution du langage, il y a quelques centaines de milliers d’années a changé les règles du jeu. Les bénéfices étaient clairs—en permettant l’échange d’idées, cette forme complexe de communication a favorisé l’innovation et l’invention.  Mais ce don du bagou présentait aussi des défis, en particulier celui de pouvoir discerner les gens à qui faire confiance.  Une excellente façon de relever ce défi a été de développer l’habilité à juger de la qualité d’un argument avant d’en accepter ou d’en rejeter le contenu.

    Prenez le cas du biais de confirmation; en évoluant pour devenir des « singes argumenteurs » ce biais remplit une fonction utile:  on ne perd plus son temps à chercher des évidences qui ne supportent pas notre argument et on se concentre sur ceux qui le font.

    Une explication similaire peut être donnée à « l’effet d’attraction » - quand on fait face à diverses options, des alternatives non pertinentes peuvent affecter notre choix. Par exemple lorsque vous choisissez votre forfait de téléphonie sans fil vous serez tenté de choisir une option un peu plus chère que celle que vous envisagiez au départ, si on vous indique qu’une option encore plus chère existe. L’existence de l’option de luxe vous fournit une justification à votre décision de finalement choisir l’option du milieu. Cet effet est encore plus puissant quand on indique que vous devrez par la suite justifier votre choix publiquement!  Votre machine à raisonnement met alors son chapeau argumentatif et vous amène à prendre une décision que vous pourrez facilement  défendre plutôt que celle qui serait objectivement la meilleure pour vous. 

    On peut appliquer le même raisonnement au biais de cadrage, qui fait que l’on ne prend pas la même décision selon la façon dont la question nous est posée et le biais des coûts irrécupérables, qui nous rend réticent à abandonner les efforts déjà entrepris, les projets en cours, même quand il est plus rationnel de le faire. Dans les deux cas la théorie argumentative soutient que nous sommes plus sujets à ces biais si nous devons justifier nos choix.

    La théorie concorde aussi avec le point de vue influent de Jonathan Haidt qui a proposé que nos jugements moraux proviennent de nos réactions instinctives à des transgressions morales et non pas de raisonnements réfléchis. Nous ne tentons en fait que de justifier nos instincts et ne cherchons qu’à persuader les autres de les accepter.

    Cette vue de l’humanité peut sembler pessimiste, mais il y a définitivement un avantage à ce cerveau chicanier. Non seulement sommes nous bons à produire des arguments convaincants, mais nous sommes aussi adeptes à faire des trous dans ceux des autres. Ce qui veut dire que quand plusieurs personnes se rassemblent pour débattre ils peuvent contrebalancer les biais de raisonnement que chacun apporte à la table de discussion. Avec le résultat que la réflexion en groupe peut produire des résultats étonnamment brillants, surpassant les efforts des individus irrationnels composant le groupe.

    Qu’est-ce qui influence la performance d’un groupe.? Plusieurs études démontrent peu de corrélation entre la performance d’un groupe et le niveau d’intelligence moyen ou maximum des individus le composant. L’intelligence collective est plutôt déterminée par la façon dont le groupe argumente—les meilleurs groupes permettent à tous de participer à la conversation. Les meilleurs groupes tendent aussi à inclure plus de membres sensibles aux sentiments et humeurs des autres. Les groupes avec plus de femmes, en particulier, performent mieux; possiblement parce que celles-ci sont plus sensibles aux indices sociaux.

    De tels résultats sont exactement ce à quoi on s’attendrait d’une espèce qui a évolué non pas pour penser individuellement, mais pour argumenter en groupe. Mercier and Sperber ne croient pas cependant que cela était le bénéfice premier du cerveau argumenteur. Ils pensent plutôt que l’argumentation a évolué principalement pour améliorer la communication entre les individus, aidant les communicateurs à persuader un auditoire récalcitrant et aidant ceux qui écoutent à voir les mérites de l’information offerte par des sources en qui ils pourraient ne pas avoir confiance.  Comme effet secondaire il en résulte un meilleur raisonnement dans un contexte de groupe.  

    Tout cela n’empêche pas de voir déraper, à l’occasion, les processus de réflexion en groupe. En particulier, les groupes de gens, ayant la même vision des choses, qui se concentrent sur des sujets à forte charge émotive tendront à se pousser l’un l’autre vers des positions de plus en plus extrêmes, alors que les membres plus modérés seront ostracisés. Ce sont là des situations qui peuvent conduire au dangereux phénomène de « pensée de groupe » dans lequel toute opposition est étouffée et toute alternative est écartée, le tout résultant souvent dans des décisions désastreuses (par ex. l’escalade de la guerre du Vietnam sous Lyndon Johnson).

    Alors allez-y ,mettez vos cerveaux argumenteurs à l’œuvre dans votre environnement Quelques indices pour les meilleurs résultats: demander au groupe de se mettre en mode « discussion exploratoire » où toute idée peut être librement exprimée et critiquée; assurer au départ que le groupe a l’objectif clairement énoncé de trouver un accord, même si celui-ci demeure évasif.

     

     

     

     

     

     

     

     

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    1.  

    Pouvoir et confiance 

    Les décisions prises par les gens de pouvoir, en affaires comme dans d’autres domaines, ont d’importantes conséquences pour leurs organisations et leurs employés. Selon une étude récente il semble cependant y avoir une relation entre le sentiment d’avoir du pouvoir et une propension à négliger une partie importante du processus de décision: écouter les avis des autres. Le pourvoir accroit la confiance, ce qui peut conduire à une croyance excessive dans son propre jugement et, en bout de ligne, mener à des décisions erronées.

    Ils ont, en effet, découvert que la confiance était perçue par plusieurs comme un attribut important du leadership. Ils en ont conclu que les gens puissants, au fil des ans, en venaient à voir la prise d’avis comme un signe de faiblesse et faisaient donc l’hypothèse qu’ils devaient projeter une confiance totale dans leur seul jugement. Une hypothèse potentiellement dangereuse!

    Pouvoir et écoute 

    Des recherches antérieures avaient déjà démontré que la qualité des décisions décline quand le décideur se fie trop à ses propres évaluations et discrédite trop facilement l’avis des autres; des sources externes d’information aident généralement à « arrondir » les distorsions résultant du fait de donner trop de poids à ses seules opinions et premières impressions. La nouvelle étude est la première à étudier si le pouvoir (défini comme la capacité à influencer les autres, en partie par un contrôle sur des ressources, des récompenses, ou des punitions) diminue ou augmente la volonté de prendre avis.

    Dans quatre études différentes, dont une en milieu de travail réel, les chercheurs ont utilisé  un type d’évaluation 360-degrés pour explorer la relation entre le degré de pouvoir et l’ouverture aux avis des autres. Dans les quatre études il ont trouvé que les gens avec du pouvoir étaient plus portés à écarter et à ne pas avoir confiance dans les perceptions et avis reçus de sources externes — et que les hommes étaient plus portés que les femmes à ne pas écouter les avis des autres. 

    Quatre études  

    1. La première s’est concentrée sur 208 professionnels en milieu de travail. Les participants étaient  employés dans des entreprises de taille moyenne, dans des rôles divers — comptables, ingénieurs, vendeurs, gens de marketing, finance et R&D— avec en moyenne quatre ans de séniorité dans leur entreprise. L’analyse des résultats montre que les gens qui se voient avec plus de pouvoir sont perçus par leurs collègues comme étant moins réceptifs aux avis. De plus ils démontrent un degré élevé de confiance dans leur jugement. Les résultats montrent aussi que les femmes indiquent des niveaux de confiance dans leur jugement inférieurs aux hommes. En retour, leurs collègues rapportent que les femmes incorporent significativement plus les avis des autres dans leurs décisions.

      2. Dans la deuxième étude, on a demandé à 63 étudiants d’estimer le coût des études dans sept universités publiques et privées, listées aléatoirement.  On leur a ensuite demandé à quel point ils étaient confiants dans leurs réponses et à quel point ils se sentaient « puissants » dans leurs relations avec les autres. On leur a ensuite fourni les réponses d’un autre étudiant (lesquelles étaient, à leur insu, les réponses exactes), puis donné l’opportunité de changer leurs réponses. Ici aussi les femmes ont été significativement plus réceptives que les hommes à l’information externe et le sentiment de pouvoir était fortement corrélé avec le degré de confiance et l’aversion à incorporer l’avis des autres.

    3. La troisième étude impliquait plus de 250 personnes âgées de 18 à 65 ans. Encore une fois les participants dans la catégorie « pouvoir élevé » ont donné significativement moins de poids à l’avis des autres.  

    4. La dernière étude, semblable à la deuxième, avec 126 étudiants a confirmé les mêmes résultats et, en plus a démontré que les réponses des participants dans la catégorie « pouvoir élevé »  étaient moins précise que celles des participants dans la catégorie « pouvoir moindre » . 

     Conclusions

    Les conclusions sont potentiellement troublantes pour les organisations. Le pouvoir peut affecter non seulement la prise d’avis, mais aussi la façon dont les décideurs obtiennent de l’aide ou donnent de la rétroaction de performance. Il est important de s’attaquer directement à ce problème de confiance excessive et d’aider les décideurs à rechercher d’autres avis, lorsque c’est utile de le faire. Par exemple les organisation peuvent prévoir des étapes formelles de recherche d’avis variés dans les stages initiaux de leurs processus décisionnels, avant que les décideurs n’aient eu la chance de former leur propre opinion. Les encourager à se restreindre de commenter certaines décisions publiquement peut aussi les empêcher de se sentir « attachés » à un point de vue particulier.

    Somme toute, les gens de pouvoir sont moins portés à prendre l’avis des autres, en grande partie parce qu’il ont un haut degré de confiance dans leur propre jugement et ne sentent pas le besoin d’incorporer d’autres points de vue. Mais, en ne tenant pas compte de l’avis des autres, ils risquent de prendre des décisions fautives.  

     

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  • Le meilleur chemin: la ligne droite? 

    Quelle direction doit prendre un navire qui veut passer de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique? Vers l’ouest bien sûr, affirmons nous tous immédiatement. Mais si vous regardez une carte vous verrez, qu’en fait, en passant par le canal de Panama, vous naviguerez vers l’est!

    Réussir...par la bande

    C’est l’essence même du concept d’obliquité: si vous voulez allez dans une direction, le meilleur chemin consiste peut-être à aller dans une autre. Aussi paradoxal que cela paraisse, plusieurs buts se réalisent mieux quand on les poursuit de façon indirecte. Que ce soit pour contourner un obstacle géographique, gagner une bataille décisive, ou atteindre un objectif de vente, l’histoire nous enseigne que l’approche oblique connaît plus de succès, surtout lorsque les conditions sont difficiles. 

    Ce concept d’obliquité a été articulé par John Kay, l’un des économistes les plus réputés de Grande Bretagne.  Il se concentre sur les relations entre l’économie et le commerce, en particulier sur la valeur des approches d’affaires holistiques et  leur succès relatif, comparées aux approches de simple maximisation du profit. Kay cite d’ailleurs George Merck (fondateur de la célèbre pharmaceutique): "Nous essayons de ne jamais oublier que le but de la médicine est d’aider le monde. Pas de faire des profits. Les profits suivront et, si on n’oublie pas cela, ils ne manqueront pas. Le mieux on s’en est rappelé et le plus de profits il y a eu. ‘’

    L’obliquité

    L’obliquité est nécessaire parce que nous vivons dans un monde d’incertitude et de complexité; les problèmes que nous rencontrons ne sont pas toujours clairs et, parfois, même nos objectifs ne sont pas clairs. Le contexte change, les gens changent (en plus ils sont souvent difficiles à prédire) et les conséquences de nos choix dépendent de leur réponse; or les approches directes sont souvent sans imagination, pour ne pas dire arrogantes dans leur certitude simpliste.

    En ingénierie de systèmes, par exemple, l’obliquité est une théorie qui propose que la meilleure façon de réaliser un objectif, lorsque vous travaillez avec un système complexe, est de prendre une approche indirecte. Par exemple, si vous êtes à la tête d’un grand département de TI et que votre objectif est d’aider votre entreprise à être plus profitable, la meilleure approche à prendre est de penser holistiquement et de prendre en compte tant les besoins d’affaires que techniques. En vous concentrant sur la fourniture de services de qualité— plutôt que sur de simples indicateursde coûts unitaires et de ROI — vous aiderez les employés à être plus efficaces et productifs, ce qui, en retour, rendra l’entreprise plus profitable.

    Pourquoi? Parce qu’en fait l’obliquité a beaucoup en commun avec les principes de la théorie du chaos. Les deux partagent l’idée que, dans les systèmes complexes, les facteurs en jeu sont trop nombreux et leurs interrelations trop compliquées et confuses pour que nous puissions facilement les comprendre. Par conséquent, tout comme nous ne pouvons être sûrs que les prévisions de météo à long terme ne seront pas affectées par des influences imprévues, nous ne pouvons être sûrs que la poursuite déterminée du succès financier est ce qui nous conduira à l’atteinte de notre objectif.

    Selon cette théorie, les gens, dont la seule préoccupation est leur propre bonheur, sont rarement les individus les plus heureux et les compagnies qui cherchent principalement à maximiser leurs profits à tout prix, sont les moins susceptibles d’être celles qui connaissent le plus grand succès financier. 

    Kay trouve des manifestations de ce phénomène dans toutes les sphères de la vie courante. Les gens les plus riches, d’Andrew Carnegie à Bill Gates, ont réalisé leur fortune par le biais d’une passion pour leur travail et non pas en se donnant des objectifs matérialistes. La recherche démontre que les compagnies, dont le but (tel que déclaré dans leur énoncé de vision)  est l’excellence des produits ou des services, sont plus profitables que celles dont le but déclaré est l’accroissement des profits. Dans le domaine individuel, il existe un corps depreuve substantiel qui montre que la parentalité, sur une base quotidienne, génère plus de frustrations que de joies. Et pourtant les parents sont statistiquement plus heureux que les non parents. Bien que leur plaisir à court terme soit souvent contrecarré par le besoin d’éduquer leurs enfants, les subtiles récompenses obliques de la parentalité les rendent ultimement plus heureux.

    Les implications de l’obliquité

    L’une des implications les plus intéressantes de ce concept concerne la façon dont nous évaluons un processus de prise décision (par exemple lorsque nous jugeons la performance de nos élus, ou de ceux qui veulent les remplacer). Trop souvent nous faisons ce que Kay appelle "l’erreur téléologique": nous présumons que les bons et mauvais résultats sont nécessairement le résultat de bonnes ou mauvaises décisions. Nous oublions que la chance (ou la malchance) joue souvent un plus grand rôle que nous ne  le croyons. À la bourse les conseillers sont vus comme des génies quand tout va bien, mais comme des incompétents quand les choses tournent mal. La chance pourtant, autant que le talent, est en jeu.

    Une conséquence alarmante de cette erreur est que les gens qui prétendent avoir des réponses directes sont beaucoup plus à même d’être acclamés pour leur ‘sagesse’, que les penseurs obliques qui sont pourtant le plus à même d’obtenir de meilleurs résultats. Kay indique que les décideurs peuvent donc choisir entre être efficaces ou être populaires (en politique les voteurs choisiraient donc ceux qui ont le moins de chance d’être de bons solutionneurs de problèmes).

    Les approches directes:

    » Nous rendent peu réceptifs aux nouvelles informations qui contredisent nos présomptions;

    » Nous amènent à confondre logique et vérité ;

    » Nous coupent de notre intuition (qui est l’expression subconsciente de notre expérience);

    » Nous éloignent de solutions alternatives qui pourraient être meilleures que celle que nous préférons a priori.

    Kay nous suggère donc de reconnaître nos limites, de redéfinir nos buts en lien avec nos habiletés, d’ouvrir nos esprits à de nouvelles données et solution et, de façon générale, de vivre notre vie obliquement.

     

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  • Vous est-il déjà arrivé de prendre soin de bien cadrer un problème, d’examiner plusieurs options, de prendre le temps de recueillir le plus d’information possible, peut-être même d’incorporer un degré d’incertitude au processus...pour finalement décider sur un coup de tète, ou une simple intuition du meilleur choix? Si oui, ce bulletin est pour vous.

    Une pyramide de choix

    Trop souvent, comme décideurs, nous prenons nos décisions par défaut, permettant à l’inexpérience, à la commodité et à la hâte de décider pour nous. Pour aller plus loin nous présentons ci-dessous une pyramide, à quatre niveaux, de diverses techniques de décision.

    L’intuition

    Au premier niveau, la plus simple des techniques: l’intuition. Attrayante parce que rapide, facile et peu demandante; parfois même brillante. Elle est généralement cohérente avec l’expérience passée et se fait largement en mode automatique; mais elle est difficile à expliquer, parce que, souvent ,le « sixième sens », le « gut feeling » est basé sur des raisonnements subconscients.

    Or ce que toutes les études démontrent, c’est que l’intuition est généralement médiocre. Par exemple, dans un test, on a demandé à 9 radiologistes d’évaluer 96 cas suspectés d’ulcère d’estomac et d’estimer la probabilité de présence d’une tumeur maligne. Une semaine plus tard on leur a soumis les mêmes cas (sans leur dire et dans un ordre différent). Dans un cas sur quatre le diagnostic a changé! Dans un autre test, des étudiants dans un cours de psychologie de la décision qui se savaient évalués sur la cohérence de leurs décisions, ont eu des résultats encore moins bons. 

    Les heuristiques

    Plusieurs de nos décisions sont basées sur des règles (e.g. pour estimer le coût d’un nouveau produit calculer le coût de matière première selon le poids de la matière principale, puis multiplier par deux pour les autres coûts, main d’œuvre, etc.). Malheureusement nous ne les utilisons pas toujours judicieusement et nous échouons souvent à reconnaître leurs distorsions inhérentes.

    Un exemple courant: classer des options par ordre d’importance des facteurs de décisions. Disons que vous voulez choisir un consultant. Vous établissez une liste de facteurs importants: références, résultats de votre entrevue avec eux , leur taux horaire, etc... Si vous ne gardez que les trois meilleurs selon le premier critère pour passer au deuxième et ainsi de suite à travers votre liste de critères, vous risquez d’éliminer une firme qui aurait les meilleurs scores sur tous les critères sauf le premier. Cela n’a de sens que si le premier critère est beaucoup plus important que tous les autres.

    Idem pour la méthode du taux barrière préétabli (le « hurdle rate » utilisé pour les projets à autoriser, le prix maximal à payer disons pour une auto, un prêt à autoriser, etc.). Ici aussi, si on impose de satisfaire un niveau minimum sur plusieurs critères, on peut éliminer une option qui serait supérieure sur tous les critères sauf un, où elle serait légèrement inférieure au minimum requis.

    L’approche multicritères

    Pour les problèmes plus complexes, ou incertains, l’approche multicritères donne d’excellents résultats. Il s’agit essentiellement de choisir un certain nombre de critères et de leur donner une pondération d’importance. Chaque option reçoit un score pour chaque critère; ces scores, multipliés par la pondération donnée à chaque facteur, sont ensuite totalisés pour choisir la meilleure option.

    Une fois établis, ces modèles peuvent traiter de grandes quantités d’informations sans jamais souffrir de distraction, de fatigue, d’ennui ou d’erreurs aléatoires (comme les humains). Malgré cela, la plupart des gens regardent cette approche avec la même considération qu’un enfant donne à un plat d’épinards ou de brocolis.

    Et pourtant, tests après tests en ont démontré la valeur. Dans un cas, on a demandé à 21 ingénieurs civils d’expérience du Colorado de prédire lesquels de 39 segments d’une autoroute rurale à  deux voies étaient les plus dangereux; on leur a fourni des informations sur la largeur, le nombre de courbes/mille, la pente, l’intensité de trafic, le nombre d’intersections, etc. de chaque segment. Un modèle multicritères a été bâti en parallèle avec les mêmes critères, par une autre équipe. Enfin on a calculé le taux réel d’accidents de chaque segment pour les sept années précédentes. Sur une échelle où 1.0 représente un match parfait avec le taux réel d’accidents la moyenne du score des experts a été un maigre 0.5, le meilleur ingénieur réalisant un 0.64. Le modèle? 0.8.

     

     

    Cette approche peut donner de meilleurs résultats encore, i.e. en choisissant la pondération à partir du meilleur jugement d’experts dans une série de cas tests (on utilise une technique de régression pour inférer la pondération à partir de leurs jugements intuitifs). Cette technique permet généralement d’ensuite performer mieux que tout expert individuel.

    C’est un phénomène qu’on appelle aussi « crowd intelligence » (il y a cependant un certain nombre de règles à respecter). J’ai pu l’observer personnellement plus d’une centaine de fois dans un exercice de simulation de prise de décision en groupe, que j’utilise dans mes ateliers de formation depuis des années.

    L’analyse de valeur

    Dans les cas les plus importants et les plus complexes il vaut la peine de faire une analyse encore plus approfondie. L’analyse de valeur raffine les techniques de pondération en prenant en considération comment différents critères affectent des objectifs plus larges et comment une augmentation du score sur chaque facteur ajoute de la valeur.

    Tout d’abord, on va plus loin qu’une simple liste de critères; on va chercher à établir les véritables valeurs recherchées et lier celles-ci aux critères. Par exemple, dans une décision d’admission d’élèves à un programme, un des critères retenus dans une analyse multicritères pourrait  être le score obtenu à un test standardisé d’admission; on va alors établir les vrais valeurs recherchées (e.g. leadership, capacité intellectuelle, etc.) et on utilisera des méthodes scientifiques pour évaluer à quel point le score au test prédit réellement ces valeurs.

    Enfin, on tiendra compte aussi du fait que la valeur du score d’un critère n’augmente pas nécessairement linéairement (e.g. une augmentation de la moyenne universitaire de 3.6 à 3.8 est plus impressionnante qu’une augmentation de 2.6 à 2,8).

    L’analyse d’utilité multi-attributs est une technique mathématique qui permet d’incorporer ces raffinements, mais elle demande l’apport d’un expert.

    Une métadécision

    La première décision à prendre c’est de décider comment décider. Une seule règle ici: choisissez la méthode la plus simple qui est suffisante pour le type de problème considéré:

    » Intuition: méthode peu fiable, sauf pour les problèmes les plus répétitifs où l’expertise est vraiment « automatique ».

    » Règles: elles demandent un peu plus d’efforts et donnent un peu plus de qualité; faciles et défendables; mais sujettes aux biais et doivent évoluer.

    » Multicritères pondérés: demandent plus d’efforts la première fois mais sont facilement réutilisables dans un environnement stable; haute qualité de résultats.

    » Analyse de valeur: un maximum d’efforts pour une qualité maximale; mais vos valeurs seront totalement transparentes et ouvertes à un examen public. 

    Parce que chaque méthode traite l’information différemment il est possible, même probable, que chacune, si appliquée à un même problème, aboutirait sur une décision différente. D’où l’importance de prendre le temps, en début de processus, de bien choisir sa méthode de décision et d’en comprendre les limites.

    De plus, rappelez-vous que nous tendons tous à avoir une confiance déraisonnable dans nos décisions!

     Source:  Winning Decisions J.E. Russo, P.J.H. Schoemaker, Currency Doubleday, 2002 

     

     

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  • Il y a une séquence temporelle apparente à notre sentiment de « savoir » quelque chose: d’abord il y a une pensée (l’intrant), ensuite on l’évalue, puis il y a un sentiment de justesse. La certitude est donc un choix conscient, ou, à tout le moins un processus de pensée. N’est-ce pas? Eh bien non, selon le neurologue Robert A. Burton, M.D. Prenons deux exemples:

    » Le mystique perçoit une vérité, il a un sentiment de savoir, même en l’absence de pensée initiale. De plus l’interprétation (c’était une révélation divine) arrive après coup.

    » Dans les percées scientifiques (e.g. la pomme de Newton) une série d’associations inconscientes s’infuse d’un sentiment de justesse; la pensée et le sentiment de justesse émergent ensemble dans le conscient.

    Qu’est-ce que le « sentiment de savoir »?

    On peut appeler la certitude le « sentiment de savoir » quelque chose, par ex.:

    » Lorsqu’on nous pose une question et qu’on a un une forte sensation de connaître la réponse, même si on ne peut s’en rappeler immédiatement (« sur le bout de la langue »)

    » Le délicieux moment « aha!!! »  lorsqu’une équation mathématique incompréhensible fait soudain du sens. 

    En somme on ressent un sentiment de raisonnement correct et de réponse juste.

    Voici un petit test. Lisez le texte qui suit, au complet, d’un bout à l’autre, sans vous arrêter.

    Un journal est mieux qu’un magazine. Sur la plage c’est mieux que sur la rue. Au début il vaut mieux courir que marcher. Il est possible d’avoir à essayer à plusieurs reprises. Il faut être habile mais ça s’apprend facilement. Même les enfants aiment ça. Une fois réussi il y a peu de complications. Les oiseaux s’approchent rarement. La pluie s’absorbe vite. Trop de monde en même temps cause des problèmes. Il faut de l’espace. Sans complication c’est très apaisant. Une roche servira d’ancre. Si quelque chose casse il n’y aura pas de deuxième chance.

    Comment vous sentez-vous après cette lecture? Les chances sont que vous ressentez un inconfort: c’est un texte bizarre, sans sens. Ajoutons maintenant un seul mot: cerf-volant. Aha! votre inconfort disparaît et est remplacé par un sens de justesse. Instantanément, sans délibération consciente vous avez un sentiment conscient de certitude quant au sens de ce texte. 

    Savoir et conscience 

    Cependant, savoir quelque chose et en prendre conscience sont deux processus différents, se produisant dans deux zones différentes du cerveau. Il en résulte parfois des manifestations fautives du « sentiment de savoir ».

    Sentiment de savoir contraire au savoir. On pense ici aux phénomènes placebo (je sais que c’était du sucre… mais ça m’a quand même guéri), ou encore de dissonance cognitive (je préfère changer de comportement que de croyance). On peut penser aussi au délire de négation (syndrome de Cotard) où des patients nient leur propre existence (je vous parle mais je sais que je suis mort) ou celle d’une partie d’eux-mêmes (je vois mon bras, je touche mon bras, mais c’est pas à moi — mon bras à moi est mort). Il y a aussi la fameuse étude Challenger. Le lendemain de l’explosion de la navette spatiale un professeur a demandé à ses étudiants d’écrire où ils étaient, avec qui et quels étaient leurs réactions lorsqu’ils ont appris le désastre. Quelques années plus tard il a demandé aux mêmes élèves de réécrire leurs réponses aux mêmes questions, puis a comparé les deux versions. Plus de la moitié avaient des souvenirs substantiellement différents, et plus d’un tiers avaient des différences importantes. Plus intéressant est que plusieurs, lorsque confrontés aux différences, ont renié leur version originale, prétextant qu’« ils savaient ce qu’ils savaient »! 

    Absence de sentiment de savoir malgré la présence d’un savoir.  La vision consciente se produit lorsqu’un signal lumineux voyage, par des fibres, de la rétine au cortex visuel. Mais il y a d’autres fibres qui contournent ce processus et se connectent directement à la région sous-corticale qui  contrôle les réflexes automatiques (e.g. votre tête se tourne automatiquement vers un objet qui vous approche rapidement). Quand le cortex visuel est endommagé celui-ci ne peut enregistrer l’image ni donc en prendre consciemment « connaissance »; mais la région sous-corticale, elle, enregistre quand même l’information. D’ailleurs si on allume une lumière devant ce type d’aveugles et qu’on leur demande dans quel quadrant elle se trouve (haut/bas, gauche/droite), ils « devinent » la réponse.

    Sentiment de savoir en absence de savoir. Ici on touche aux expériences mystiques. Pour un mystique la révélation est ressenti comme un savoir (semblable à celui que nous retirons de sensations physiques) beaucoup plus qu’à un processus de pensée conceptuelle. Des études récentes démontrent que ces sensations proviennent directement de l’activation de zones localisées du cerveau (système limbique). Or on peut obtenir les mêmes effets via des simulations externes, par exemple par activation chimique. Au fait le point ici n’est pas de discuter de la réalité de la divinité mais de reconnaître que quelque soit l’origine de notre sens (ou absence) de sens divin, le tracé final de sa perception réside dans notre cerveau.

    La conviction est une sensation, involontaire

    Les sensations de connaissance telles que familier et réel, étrange et bizarre déjà vu ou inconnu, clair ou sans sens, en d’autres mots nos « convictions » qualifient comment nous faisons l’expérience de nos pensées; comme elles peuvent être élicitées chimiquement ou électriquement, en l’absence de tout raisonnement associé ou pensée consciente, elles ne sont donc pas des conclusions, mais bien des sensations.

    Entendre notre petite voix interne et voir une image dans notre tête sont des représentations sensorielles de nos états d’esprit intérieurs. Il en va de même avec nos sensations de savoir.  Nous percevons le monde extérieur à travers nos sens primaires (vue, ouie, etc.) et nous percevons notre monde intérieur à travers nos sensations (familier, étrange, réel, irréel, correct, incorrect). Notre sens de conviction est une sensation mentale.

    Comme toutes sensations, nos sensations de conviction sont sujettes à certains principes physiologiques communs à tous les systèmes sensoriels. Quand un système sensoriel est affecté, des sensations altérées sont inévitables et incontrôlables. Si vous coupez le principal nerf sensoriel de votre pouce vous ne pourrez vous empêcher, de votre simple volonté, de sentir votre pouce engourdi. La même chose se produit avec le cerveau :

    » des amputés continuent à ressentir de la douleur dans leur membre coupé;

    » on a parlé plus haut de ces patients convaincus qu’ils sont morts.

    Ces sensations bizarres, si elles sont le résultats de systèmes sensoriels mentaux altérés, ne peuvent pas être surmontées volontairement par la raison ou des évidences contraires.

    Ces sensations sont aussi affectées par nos différences génétiques; par exemple des études ont démontré des similitudes élevées dans les convictions spirituelles de jumeaux identiques élevés séparément dès la naissance. 

    Savoir et apprendre

    Le sentiment de savoir est évidemment essentiel au processus d’apprentissage. Apprendre c’est quand un comportement persiste; or, pour qu’un comportement persiste il y doit y avoir « récompense », sous forme d’une augmentation des niveaux de dopamine dans certaines zones du cerveau. Mais pour qu’il y ait récompense effective les sensations de savoir, de conviction doivent être perçues comme des conclusions conscientes et délibérées. Le cerveau a donc développé une constellation de sensations mentales que l’on ressent comme des pensées conscientes, mais qui n’en sont pas. Ces sensations involontaires et incontrôlables sont les sensations de notre esprit et, en tant que sensations, elles sont sujettes à une grande variété d’illusions perceptuelles communes à tous les systèmes sensoriels, ainsi qu’aux variations génétiques.

    La séparation des processus de pensée et de prise de conscience de la pensée est nécessaire sinon il en résulterait un chaos écrasant; il nous faudrait, à chaque instant, remettre en question la moindre petite décision. En fait, la plupart des scientifiques sont aujourd’hui convaincus que les pensées conscientes ne représentent que le tout petit sommet de l’iceberg cognitif et que la vaste majorité de nos pensées se produisent hors de notre conscience. Pour éviter la confusion, notre cerveau a donc développé des systèmes sensoriels qui nous disent sélectivement quand nous pensons; ces systèmes déterminent comment nous faisons l’expérience des sentiments de cause à effet et d’intentionnalité et nous impriment un sens de conviction.

     Source:  Burton, Robert A., On Being Certain, St-Martin’s Griffin, 2008 

     

     

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