• L’un des plus vieux paradoxes concernant les décisions humaines est qu’elles résultent d’un combat entre nos émotions et notre raison. Une dichotomie acceptée, remontant d’aussi loin que Platon, en passant par Descartes (entre autres)...et une prescription: notre raison doit dominer nos émotions. 

    Émotions utiles...

    Or les recherches en neurosciences des dernières décennies démontrent plutôt que nos émotions nous aident à décider et que, sans elles, nous serions incapables de prendre des décisions. C’est le cas de certains malades ayant subi des dommages à leur cortex préfrontal.

    C’est la zone cérébrale qui ‘raisonne’, qui connecte les sentiments provenant du cerveau primitif (le tronc cérébral et l’amygdale dans le système limbique) aux processus de pensée consciente et qui ‘contrôle’ les émotions. Ce contrôle s’exerce par la dopamine, l’un des principauxneurotransmitteurs , sur plus d’une cinquantaine qu’utilisent les cellules cérébrales pour communiquer.

    Le nucleus accumbens est une collection de neurones qui régularise la production de dopamine et joue un rôle important dans des processus comme le rire, la peur, le plaisir, la dépendance.

    Le processus de décision commence avec une variation des niveaux de dopamine. Plus le niveau de dopamine est élevé et plus il y a un sentiment de plaisir. Or les neurones produisent de la dopamine lorsque le résultat d’une décision correspond au résultat anticipé (le plaisir d’avoir raison en quelque sorte); sinon, il y a « erreur du signal prédictif » et les niveaux de dopamine baissent.

    De plus, le cerveau est conçu pour amplifier ces signaux d’erreurs. Ils déclenchent processus où le cortex cingulaire antérieur communique avec le thalamus (qui régit l’attention consciente) et l’hypothalamus (qui régit les fonctions corporelles) afin de concentrer rapidement l’attention du cerveau. En fait le cerveau est désigné pour apprendre de et par ses erreurs! Nos neurones peuvent apprendre.

    ...ou trop d’émotions?

    Cependant, ce processus de base n’est pas infaillible. En particulier il y a surexcitation en cas d’erreurs du signal prédictif, pour forcer le cerveau à porter une attention immédiate à une situation inattendue, possiblement dangereuse, mais le cerveau peut devenir obsédé par certaines situations intrinsèquement imprévisibles. Ceci explique, par exemple, une dépendance comme le jeu compulsif. Le cerveau s’obstine à trouver un pattern dans un processus par définition aléatoire. Le cerveau tend aussi à céder au plaisir immédiat (généré dans le nucleus accumbens) plutôt que d’écouter sa ‘raison’ (son cortex préfrontal) - e.g. plaisir d’un achat immédiat sur carte de crédit vs le paiement qui devra être fait plus tard. Le processus est aussi sujet aux erreurs fictives -e.g. au lieu du plaisir d’avoir fait un profit sur un investissement à la Bourse, regretter de ne pas avoir investi plus, avec le risque de mettre tous ses œufs dans le même panier la prochaine fois. Finalement le poids des différentes émotions n’est pas égal: le mauvais est plus fort que le bon - ce qu’on appelle le biais de négativité. Le cerveau humain a les pertes en aversion. Si on présente un problème comme un choix entre deux pertes le cerveau tend à choisir la plus petite; mais si on offre les deux mêmes options sous forme de choix entre deux gains, il choisira plutôt l’option au gain maximum.

     

    Raison utile?

    Il est donc utile de faire appel à la raison pour gérer nos émotions. Les meilleurs décideurs ne sont pas moins émotifs, ils gèrent tout simplement mieux leurs émotions. Des études ont démontré que la capacité à s’autogérer chez de jeunes enfants était le meilleur indice pour prédire leurs succès futurs, tant sociaux que scolaires, à l’adolescence. Le syndrome du déficit d’attention et d’hyperactivité est aussi relié à un retard dans le développement du cortex préfrontal (la dernière zone du cerveau à arriver à maturité).

    Il est particulièrement utile de faire appel au cortex préfrontal (CPF) dans de nouvelles situations où des solutions innovatrices sont requises, car dans ces cas nos réflexes émotionnels sont inutiles. 

    ..ou trop de raison? 

    Mais le CPF a aussi ses limites. On connaît tous ces situations où trop penser peut nuire - le cas classique de l’athlète qui ‘choke’. Dans ce cas le CPF vient interférer avec la routine, les réflexes innés, émotionnellement éduqués par nos neurones.

    Le CPF est très puissant, tellement qu’il peut littéralement étouffer nos émotions et inhiber le fonctionnement de certaines zones du cerveau, y compris celles qui régissent la douleur, comme dans l’effet placebo—les attentes de notre CPF peuvent nous conditionner. Or les réponses instinctives (émotionnelles) à des questions de routine sont souvent meilleures que celles ‘inventées’ par le CPF après une longue délibération.

    Le CPF a aussi des limitations de capacité, e.g. difficulté à se rappeler plus de 7 nombres (d’où numéros de téléphone à 7 chiffres!), ou à classer sans faute plus de 7 tonalités, ou à percevoir plus de 7 objets à la fois. Le cerveau n’est pas non plus très apte à la mesure (remplacez la petite pelle par une plus grosse dans un plat de jujubes et les gens en consommeront deux fois plus!).

    Il est aussi facile à tromper. Demandez un estimé à des gens et leur réponse sera près du point de référence (même aléatoire) que vous leur fournirez, mais différente si vous ne leur pas fournissez pas de point de référence ou un point différent. Le cerveau a de la difficulté à ignorer les faits non pertinents. Avec comme conséquence ironique qu’il est alors plus confiant dans ses mauvaises décisions. Parfois,moins de données veut dire meilleure décision.

    Ou les deux? 

    Pour revenir à notre paradigme platonique du début, il ne s’agit pas tant de dominer nos émotions avec notre raison, ou vice versa, mais plutôt de favoriser un dialogue constant entre les deux. Il faut acquérir l’habitude d’encourager continuellement la contemplation d’hypothèses concurrentes.

    Néanmoins, la certitude d’avoir raison est un soulagement, un sentiment confortable, une illusion incrustée au niveau le plus fondamental dans notre cerveau. Nous avons un besoin profond de réprimer toute contradiction intérieure; c’est une propriété fondamentale du cerveau humain.

    Cette forme d’auto-illusion est tellement plaisante que nous tendons à n’utiliser que les faits qui confirment ce que nous avons décidé, à faire taire toute dissonance cognitive. Nous excellons dans la ‘rationalisation’.

    Que peut-on faire? Tout d’abord utiliser le meilleur processus cérébral selon la nature de la décision à prendre:

    » Utiliser la raison pour les problèmes simples et quantifiables (le modèle classique des écoles de gestion: probabilités, coûts-bénéfices, etc.) et pour les problèmes nouveaux ou qui demandent  de l’innovation. 

    » Accepter que l’on en sait plus que l’on réalise et se fier à nos réflexes et intuitions; ces décisions émotionnelles sont basés sur un long apprentissage et un long conditionnement inconscient de nos neurones. 

    Ensuite discipliner notre ‘muscle cérébral’ en adoptant de bonnes habitudes décisionnelles:

    » Augmenter notre niveau de tolérance à l’ambiguïté, à l’incertitude; remettre constamment nos certitudes en question. 

    » Penser à comment nous pensons; prévenir et éviter les pièges et biais les plus courants. 

     

     

     Sources:   How we decide, Jonah Lehrer, Houghton Mifflin Harcourt, 2009

                         Sources of Power, How People Make Decisions, Gary Klein, MIT Press, 1999

     

    Blink, Malcolm Gladwell, Back Bay Books, 2005  

     

     

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  • On entend souvent parler, statistiques à l’appui, des projets informatiques qui sont typiquement en retard et en dépassement budgétaire. Mais il s’agit là d’un phénomène beaucoup plus répandu. La plupart des grands projets d’investissement en capital ne remplissent jamais leurs promesses!

    » Plus de 70% des nouvelles usines manufacturières en Amérique du Nord sont fermées après moins d’une décennie d’opération.

    » Près du 3/4 des fusions et acquisitions ne sont jamais rentabilisées.

    » La vaste majorité des projets de pénétration de nouveaux marchés sont abandonnés après à peine quelques années.

    » Une étude de 44 grandes usines chimiques montrent qu’en moyenne elles avaient coûté le double de l’estimé original et qu’un an après leur démarrage elles fonctionnaient à moins de 75% de la capacité prévue.

    Selon la théorie économique classique cela est facilement explicable: c’est le résultat inévitable de la prise de risque en situation d’incertitude. Un argument attrayant… qui enlève toute responsabilité envers l’échec. Mais se pourrait-il qu’il y ait une autre explication, celle d’un processus décisionnel inefficace?

    Des lunettes roses

    En faisant leurs prévisions, les décideurs tombent trop facilement dans le piège de ce que les psychologues appellent le faux raisonnement de la planification, autrement dit dans un optimisme irrationnel. On surestime les bénéfices et sous-estime les coûts, on « spin » les scénarios de succès en oubliant des risques et facteurs d’échec possibles. Rassurez-vous, c’est très humain car cela relève, en partie, de biais cognitifs (la façon dont le cerveau traite l’information).

    La majorité d’entre nous sommes très optimistes, la plupart du temps. Dans les années 70, l’interrogation d’un million d’étudiants anglais sur leurs habiletés relatives a donné les résultats suivants:

    » Leadership: 70% se trouvaient au-dessus de la moyenne, contre 2% qui se trouvaient en deçà;

    » Prouesses athlétiques: 60% se jugeaient dans le décile supérieur et 25% dans le top 1%.

    Cette inclinaison à l’exagération est amplifiée par notre tendance à mal percevoir les causes de certains événements. En fait, on tend à attribuer des causes à des facteurs spécifiques: on prend crédit pour les résultats favorables et on attribue les défavorables à des causes externes. Lisez les rapports annuels des entreprises!

    On tend aussi à exagérer le degré de contrôle que l’on a sur les événements, en général, et nos habiletés de gestionnaire, en particulier. Dans notre vision idéalisée de nous-mêmes, nous nous voyons comme des joueurs prudents, déterminés et en contrôle… tellement que nous évacuons la possibilité d’évènements aléatoires. Nous semblons ignorer les limites de l’imagination humaine et le simple fait que, quelque soit le niveau de détail de nos scénarios d’affaires, aucun ne peut tenir compte de tout (chocs technologiques, économiques, climatiques, etc.).

    Positivisme sous pression

    Un autre biais cognitif vient compliquer la situation: l’ancrage. Quand nous faisons des prévisions, nous partons généralement d’une proposition de départ, puis nous ajustons progressivement nos prévisions en fonction de recherches, d’études, d’analyses et de notre jugement. Cette approche, apparemment sans faute, est cependant fortement ancrée dans (dépendante de) l’estimé original.

    » Au cours d’une expérience, on a demandé à des gens d’estimer si le nombre de médecins à Manhattan était plus grand ou plus petit que celui formé par les quatre derniers chiffres de leur numéro de sécurité sociale. Ensuite, on leur demandait leur estimé de ce nombre. Malgré le caractère complètement aléatoire du chiffre de comparaison, il y a eu une forte corrélation démontrée entre les réponses et le numéro de sécurité sociale!!!

    Voilà un piège dans lequel nous tombons tous quand nous faisons des projections budgétaires à partir des données de l’année précédente.

    De plus, comme l’attention et les fonds de la haute direction sont limités et fortement sollicités, il existe une énorme pression corporative pour présenter ses projets comme étant les plus attrayants. Cela a deux conséquences fâcheuses:

    » D’abord, cela fait en sorte que les projections utilisées pour fins de planification seront trop optimistes (ce qui, par le phénomène d’ancrage, contaminera toute analyse subséquente);

    » Et cela augmente les chances que les projets retenus seront parmi ceux qui sont trop optimistes (augmentant ainsi les chances de déception ultérieure).

    Un dernier biais important d’optimisme provient de notre tendance à nous centrer sur nos propres capacités et plans (mieux connus) et à oublier, ou négliger, les habiletés et actions potentielles de nos concurrents et leurs réactions.

    Et je ne vous parle pas des modes, comme celle des objectifs ambitieux (stretched objectives), qui peuvent faire pencher la balance encore plus du côté du sur-optimisme, ni du fait que la culture organisationnelle de certaines entreprises décourage activement toute forme de pessimisme, souvent interprétée comme un manque de loyauté.

    D’autres pièges dans les processus de décision ont aussi été présentés dans notre bulletin de mars 2007 (volume 3, numéro 3) et je vous encourage à les relire.

    Une méthode simple de correction de ces erreurs est d’évaluer la fiabilité passée de vos prévisions dans des projets semblables et d’ajuster vos prévisions courantes en fonction de votre performance prévisionnelle (prévision par classe de références).

     Source:  D. Lovallo et D. Kahneman,   Delusions of success, Harvard Business Review, July 2003 

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  • Dans une récente édition du journal Les Affaires, Bernard Mooney, commentant sur les livres Good to Great et Build to Last de Jim Collins, remarquait qu’à la lecture de livres du genre « on croit déceler des indicateurs fiables de performance exceptionnelle ».

    L’effet de halo

    Il cite cependant Phil Rosenzweif, professeur de stratégie et de gestion internationale de l’International Institute for Management Development à Lausanne, selon qui la plupart des études sur le monde des affaires souffrent de cet effet qui consiste essentiellement à confondre causes et effets.

    Si les ventes, les profits et le cours de l’action d’une entreprise montent en flèche on conclue que celle-ci, son président et sa stratégie sont brillants; si les résultats changent on conclura le contraire même si rien n’a fondamentalement changé. La performance crée une impression d’ensemble, un halo, qui dicte notre perception. Bombardier qui était un modèle pour les entrepreneurs québécois est devenu, en moins de deux ans, une entreprise vétuste et dépassée dans la perception populaire.

    Plusieurs études ont identifié divers autres pièges, à la fois communs et subtils, dans la prise de décision.

    L’ancrage

    Demandez à un groupe 1– si selon eux la population de la Turquie est supérieure à 35 millions et 2– quel est leur estimé de cette population. À un autre groupe posez les mêmes questions mais remplacez 35 millions par 100 millions. La réponse à la deuxième question sera plus élevée dans le 2e groupe. La première question (comme tout autre impression ou estimé initial) influence la réponse à la 2e. Le cerveau donne un poids disproportionné à l’information récente et vient « ancrer » les jugements postérieurs (un classique: prévoir l’an prochain à partir des données de l’année précédente). 

    Le statu quo

    Les preneurs de décision exhibent généralement un fort biais en faveur des alternatives qui favorisent le statu quo. Elles sont plus confortables et elles évitent de prendre action, donc de se tromper et d’être critiqué!

    L’investissement passé 

    On a aussi souvent tendance à choisir les alternatives qui justifient nos choix passés…même quand ceux-ci ne sont plus valides. Économiquement, les investissements passés n’ont aucune pertinence quant aux décisions à prendre aujourd’hui, c’est de l’argent « perdu » (sunk costs), mais nous sommes parfois incapables de reconnaître nos erreurs passées (certaines cultures corporatives renforcent ce biais, e.g. les banques).

    Les évidences conformes

    Nous tendons tous inconsciemment à décider à l’avance de ce qu’on va faire, avant même d’analyser pourquoi on veut le faire et nous nous enthousiasmons plus facilement pour les choses qu’on aime que pour celles qu’on aime pas.  On a donc tendance à rechercher l’information qui supporte notre instinct plutôt que 

     

     

    celle qui le contredit. Cela affecte le type d’information qu’on recherche et comment on l’analyse, ou encore le choix de nos conseillers.

    Le cadrage 

    Trois barges coulent; chacune contenait 200 K$ de cargaison vous appartenant. L’entreprise de récupération vous propose deux plans, au même prix: le plan A est sûr de sauver une barge, ou le plan B qui a une chance sur trois de sauver les trois barges et deux chances sur trois d’échouer complètement.

    Posez le même problème à un autre groupe mais offrez leur les deux plans suivants: le C qui est sûr de perdre deux barges sur trois, ou le D qui a deux chances sur trois de perdre toutes les barges, mais a une chance sur trois d’en sauver une.

    Vous aurez remarqué que les plans A et C sont identiques, de même que les plans B et D. Pour ceux d’entre vous qui se rappellent leurs notions de probabilités et statistiques, vous aurez vite conclu que le choix devrait être indifférent puisque toutes les options sont mathématiquement équivalentes (même gain espéré). Or 71% des premiers groupes ont choisi l’option A, alors que 80% des deuxièmes groupes ont choisi l’option D.

    La façon dont on énonce un problème, comment on le « cadre », influence profondément les choix que nous ferons. Le problème ci-haut est un exemple classique: des énoncés sous forme de gain vs des énoncés sous forme de perte. De façon générale les gens ont une aversion au risque en situation de gain, mais sont portés à prendre des risques en situation de perte. Une bonne pratique consiste donc à énoncer un problème selon plusieurs points de référence.

    L’estimation

    Nous ne sommes pas très bons à faire des estimés et des prévisions, mais nous exhibons, malgré tout, un excès de confiance envers la précision de ceux que nous faisons. En réalité nous sommes souvent soit exagérément confiants (e.g. la Bourse!), ou trop prudents (e.g. contingences élevées « au cas où », scénarios « pire cas »). D’autres fois notre jugement sera affecté par un événement dramatique ou traumatique récent (comme dans l’ancrage).

    Somme toute, comme vous pouvez le constater, bien que nous croyons être non biaisés et capables de prendre des décisions tout à fait éclairées, il est très facile de tomber dans ces pièges. Le premier pas dans la bonne direction c’est d’en être conscient. Le deuxième… c’est d’y porter attention, constamment. Bonnes décisions!

     Source:  Harvard Business Review Septembre-Octobre 1998 

     

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  • Avez-vous déjà remarqué que nous avons souvent tendance à raisonner en termes absolus?

    Cette tendance à toujours classer catégoriquement les choses comme blanches ou noires est en fait un mode de simplification de notre processus de décision. Il semble que nous héritions de cette manie essentiellement parce que notre cerveau a une capacité de traitement (channel capacity) limitée. 

    Un cerveau qui a des limites

    En partant le cerveau humain est plus apte à traiter certains types d’information que d’autres (la même chose existe chez les animaux). Un exemple:

    » Je vous donne quatre cartes identifiées A, D, 3, 6; toutes les cartes ont une lettre d’un côté et un chiffre au verso;

    » Je vous affirme que seule une carte avec une voyelle a un nombre pair au verso;

    » Quel nombre minimum de carte(s), et la ou lesquelles, devrez-vous tourner pour vérifier mon affirmation?

    La réponse? 2 cartes: A et 3. La plupart trouveront ce test difficile et échoueront (plusieurs diront A seul ou A et 6).

    Supposons maintenant que je vous demande plutôt ceci:

    » Quatre personnes dans un bar: une boit du Coke, une a 16 ans, une boit de la bière et une a 21 ans.

    » Desquelles deux personnes devez-vous vérifier la carte pour vous assurez que la loi est respectée?

    Facile! Celle qui boit de la bière et celle qui a 16 ans. Pourtant il s’agit essentiellement du même problème! Nous traitons juste plus facilement des données concernant des personnes que des données numériques.

    Le cerveau humain a donc des limites inhérentes; de plusieurs natures même:

    » Limites mentales: on connaît bien le fait que les nos de téléphone ont 7 chiffres parce que c’est le nombre le plus long dont on peut se rappeler sans erreur. De la même façon la plupart des gens peuvent différencier jusqu`à 6 différentes tonalités avant de faire des erreurs de classement (idem dans des tests de goût). Si je flashe rapidement un nombre de points noirs sur un écran vous trouverez le bon nombre….jusqu’à 7; après vous commencerez à deviner.

    » Limites émotionnelles: faites la liste des gens dont la mort vous affecterait profondément et vous laisserait vraiment dévasté. Il est probable que votre liste ‘de sympathie’ contienne environ 12 noms; c’est la moyenne de la plupart des gens. Pourquoi pas plus? Parce que ça vous demanderait trop de temps et un investissement émotionnel trop grand.

    Limites sociales: des scientifiques ont tenté de corréler la taille du cerveau de différents primates (plus précisément la taille du néocortex qui se charge des pensées complexes et du raisonnement) avec différentes variables: taille du territoire, type d’alimentation, etc., sans succès. La seule corrélation solide établie a été avec la taille du groupe social. En utilisant la valeur 

     

     

    » pour le cerveau humain dans la formule développée, on trouve un groupe idéal de 147.8. En fouillant la littérature anthropologique et autre on retrouve ce chiffre (150-200) un peu partout: taille moyenne de villages relevée en Australie, au Groenland et à la Terre de Feu (148.4); unité militaire fonctionnelle (200); colonies Huttérites, genre d’Amish (150); taille d’usines (150 chez Alcan par ex).

    OK, so what, me direz-vous? Eh bien ces limitations entraînent chez nous des comportements problématiques, dont un, bien documenté par les psychologues, s’appelle le Fundamental Attribution Error. Le FAE amène les humains, dans leur interprétation du comportement des autres, à systématiquement surestimer l’importance de leurs traits fondamentaux de caractère et à sous-estimer l’impact de leur situation et de leur contexte.

     

    La puissance du contexte 

    Ce comportement est problématique parce que, tout d’abord, ce qu’on pense être des traits caractéristiques fondamentaux des individus ne le sont souvent pas autant qu’on le pense. Par exemple vous avouerez que, si je vous le demande, vous direz que l’honnêteté est  sûrement un trait fondamental d’un individu.

    Et pourtant! Dans les années 20 deux chercheurs new-yorkais ont administrés des douzaines de tests, pendant plusieurs mois, à 11 000 étudiants de 8 à 16 ans, pour mesurer leur honnêteté. Essentiellement on leur donnait un test (e.g. en mathématiques: règles de 3 ou additions multiples; en anglais: compléter des phrases, etc.); ensuite on les corrigeait et on leur donnait leur score. Le lendemain on leur donnait un test semblable mais avec une grille d’autocorrection, ou à faire à la maison. On comparait ensuite les deux scores….et le degré de tricherie. Au départ pas de surprise: les plus forts trichaient un peu moins, les filles autant que les gars, les plus vieux un peu plus, etc. Mais la surprise c’est qu’il n’y avait pas de groupe clairement délimité d’étudiants honnêtes ou malhonnêtes. Ceux qui trichaient en anglais pouvaient ne pas tricher en mathématiques, ou ne pas tricher dans le même test administré six mois plus tard; ceux qui trichaient à la maison pouvaient ne pas tricher en classe, etc. L’honnêteté, un trait fondamental.? Pas tant que ça, semble-t-il!

    Et pourtant, nous nous obstinons à voir les gens en blanc et noir: ils sont honnêtes ou pas, compétents ou peu, dynamiques ou amorphes, motivés ou non, etc. Or il semble plutôt que le comportement des humains dépend, et pour beaucoup, du contexte dans lequel ils sont placés, à un instant donné.

    Autres exemples édifiants et des conclusion pour nous, en tant que gestionnaires, consultants….et simples humains, dans le prochain numéro. 

    Convitec Conseil en management inc. au service de l’industrie québécoise depuis 5 ans. 

     Source:  The Tipping Point Malcolm Gladwell Back Bay Books / Little, Brown and Company, 2000 

     

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